dimanche 1 novembre 2009

Comment lire l'art?



J'ai découvert le photographe Brassaï en expo aux Beaux-Arts de Nantes (jusqu'au 4 janvier). Il est connu pour Paris de Nuit et Paris Secret, mais les photos de cette collection n'y sont pas exposées. Argh, qu'est ce que c'est beau une ville la nuit:




J'ai fait la visite guidée, car ne m'y connaissant ni en Brassaï ni en photo, j'avais peur de faire le tour de l'expo, de me dire "ouais c'est chouette" et de rentrer chez moi comme j'étais venue, inculte. Alors bien sûr, il y a les étiquettes qui racontent des trucs, mais c'est tellement mieux quand un passionné explique l'artiste, l'oeuvre et son contexte. Et surtout, pendant tout ce temps, ben tu es devant l'oeuvre. Parce que dans les musées, c'est plutôt tu passes devant. Je suis devenue fan des visites guidées.

Ce qui me fait me questionner sur les différentes lectures de l'art. C'est un sujet traumatisant pour moi car il est à l'origine d'une des plus grosses disputes entre mon ex et moi. Oui, on se la joue intellos. Et au final, sûrement par un mécanisme d'auto-protection face à la souffrance générée par le constat de l'inculture artistique qu'il me révélait (étudiant architecture contre prépa hec, je partais carrément perdante) ben j'ai complètement oublié ma position d'alors. Mais je digresse. Je disais donc, il y a ces 2 visions:

- celle où on te laisse seul face à l'oeuvre, tel ma grand-mère devant un iphone sans mode d'emploi, et tu te débrouilles. Chacun va alors puiser dans ses références pour tenter de la comprendre, si envie de comprendre il y a. Chacun va suivre ses émotions pour se dire: j'aime, j'aime pas. On est dans le subjectif. L'art est accessible à tous et chacun se positionne face à l'oeuvre en suivant son coeur.

- et puis il y a celle où on t'explique. qui est l'auteur. quelles sont ses influences. à quelle époque de sa vie il l'a réalisée. à quel mouvement appartient l'oeuvre. etc. et là tout s'éclaire. Tu comprends. Tu as les clés en main pour apprécier l'oeuvre. Et tu te mets à la détailler, à analyser les différents éléments, à faire des rapprochements avec d'autres oeuvres. Et au lieu de passer 30sec devant (déjà plus que la moyenne), tu t'en impregnes et tu te sens carrément savant. Je tends à penser que cette vision est la plus enrichissante. Même si un mode d'emploi c'est pas ce qu'il y a de plus divertissant, n'est ce pas au final après l'avoir lu qu'on se sert le mieux de l'objet? (Oups, si je ne me trompes pas, je crois que le discours de l'ex à germer en moi) Oui, mais alors, c'est les érudits qui sont les plus à même de jouir de l'art? Est ce qu'au final on intellectualise pas trop l'oeuvre pour ne plus savoir ce qu'on ressent, vierge, devant elle?

Je sens que s'opposent le ressentir et le comprendre, le coeur et la raison, et je sais pas quelle vision est la plus juste (bien que le terme juste soit trop abstrait ici). On pourrait s'en foutre, me diriez-vous, mais moi je trouve ça vachement troublant. L'oeuvre vient elle avec ou sans explication? Alors, faudrait il faire le tour du musée, choisir par soi-même les oeuvres qui nous parlent vraiment, qui trouvent écho dans notre émotivité, puis les analyser. Au quel cas on prend le risque de louper des chefs d'oeuvre, mais l'art nous a fait vibrer. Ou bien, faut-il être renseigné sur l'oeuvre et l'artiste, puis se promener dans le musée et là, vraiment comprendre les oeuvres, parler la même langue que l'artiste? Je suis perdue.

Aidez moi.

7 commentaires:

  1. Ben déjà, c'est pas parce qu'on comprend une oeuvre qu'on va l'aimer ou l'apprécier.

    C'est deux choses distinctes (au moins partiellement):
    * il y a les oeuvres que tu vas aimer d'emblée, parce qu'elles te parlent, parce qu'il y a une alchimie, un lien qui se crée entre elles et toi même si tu ne cherches pas à comprendre;
    * il y a celles qui ne vont pas te toucher tout de suite mais que tu vas apprendre à apprécier grace aux explications qu'on peut te donner ou que tu vas chercher ("si ça a été fait pour telle raison, dans tel contexte, avec telles références, alors oui, je comprends et je peux créer mes propres références et introduire l'oeuvre dans mon musée virtuel personnel");
    * et puis il y a aussi les oeuvres qui, explications ou pas, ne te parleront pas, tu reconnaitras éventuellement le travail de l'artiste, l'influence de l'époque ou du courant sur son travail, mais l'alchimie ne sera pas là, c'est tout c'est comme ça.

    Pour aimer une oeuvre, il n'y a pas besoin de connaissances et toutes les connaissances de la terre ne suffiront pas à faire apprécier toutes les oeuvres. Il y a aussi un facteur humain, propre à chacun: chaque artiste, chaque "spectateur", chaque oeuvre, parfois ça marche et parfois ça ne marche pas.

    Les connaissances te donnent des clés pour déchiffrer, comprendre, associer, apprendre à apprécier, mais ne peuvent pas remplacer l'émotion subjective du spectateur devant l'oeuvre.

    En revanche, je ne pense pas que la beauté soit universelle ou en tout cas que la beauté d'une oeuvre d'art soit objective. Elle parle à chacun différemment et va plus plaire à certains qu'à d'autres... Voila mon avis :)


    Sarah

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  2. Waou, y'a une autre Sarah qui a un avis bien plus éclairé que le mien sur l'art ! :)

    Juste pour dire que tu écris bien, que c'est intéressant et que je repasserai incessamment sous peu.
    Damned Lucie, tu me fais me poser des questions jusqu'alors inconnues... J'ai peur!

    Boudh

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  3. Hmm.. avis de sarah ( Ch. si je reconnais la plume?! ) et de l'ex en question. sweet, faut juste que je re-réflechisse et on poursuit le débat :) comment coming soon.

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  4. Permettez-moi d'apporter mon grain de sel.
    Je rejoins les propos de sahra sur le fait que les deux visions que tu évoques ne s'opposent pas directement. Tu parles de subjectivité dans le premier cas, et je pense que cette subjectivité se retrouve dans tous les cas. Même l'information apportée par un expert sur le context est assimilée par des mécanismes subjectifs (Un simple mot comme "Romantique", voire "Romantisme", prononcé par un expert est compris très différemment en fonction des connaissances de celui qui écoute)
    Dans tous les cas, tu as une appréciation de l'oeuvre, expliquée ou non, qui t'es propre.

    En revanche, je trouve que ton appel renvoie à un débat historique: celui de l'épistémologie et l'art, qui date de Platon (à ma connaissance!). "Est-ce que l'oeuvre m'apporte des connaissances? Est-ce que j'apprends d'une oeuvre?"
    Alors que ce débat ce centre sur l'existence et sur les formes de connaissances associées à une oeuvre d'art, je trouve que tu enrichis le débat, en proposant une connaissance nouvelle: celle qui t'es apportée non pas par l'oeuvre, mais par un tiers. A méditer.

    Enfin je termine avec une dernière pensée: Tu as visiblement pris plaisir à visiter Brassaï avec un guide. Si l'on sort du contexte de l'oeuvre d'art, aujourd'hui il y a un consensus académique sur le fait que les mecanismes cognitifs d'apprentissages influent fortement sur nos émotions. Tout simplement: Quel plaisir immense, que d'apprendre... et de comprendre!

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  5. Réponse du mi-concerné:

    "Alexandre - 02 November at 01:35

    hmmhmmm, je me ferais un plaisir de te rapeler ta position d'antan mais ça serait pas fairplay. Pour apporter une pierre à l'edifice, je pense désormais que, évidemment il faut se nourrir d'Histoire et de references, mais l'étape la plus difficile n'est pas celle là mais celle qui consiste à savoir retrouver un regard vierge, ou du moins direct face à l'oeuvre. exemple concret necessaire à tout bon argumentaire: c'est après avoir appris à reconnaitre chaque lettre de l'alphabet, et compris comment les assembler pour donner un mot qui aie du sens, qu'on peut (qu'on doit) arreter de regarder chaque lettre isolemment et profiter du texte. (mouais).. la visite guidée c'est un peu comme si quelqu'un soulignait des passages du texte pour toi, et ça peut donner le meilleur comme le pire. evidemment, une seule position n'est pas valable pour l'ensemble des oeuvres, et de manière generale il faut bien plus de references pour saisir quelque chose à l'art contemporain, notamment à cause de la perte de l'aspect "artisanat" de l'art qui pouvait le rendre poignant rien que par le savoir-faire déployé. reste la démarche, le concept, et la c'est un peu plus aride(mais aussi tellement gratifiant! wééé!). Donc: l'art serait la somme d'une histoire, d'un medium, de references, d'une subjectivité artistique (élements connaissables), sensemment transcendés et aptes à tirer l'eternel, du transitoire d'une époque, dans le sens donné à la modernité par baudelaire (genre j'ai pas seché les cours de français..)
    pour sarah(chevrette? si oui, what's up???): je sais pas si la troisieme categorie existe réellement? comprendre une oeuvre d'at c'est deja l'apprecier. et puis il me semble douteux d'associer art et recherche du beau, pour bien repondre il faudrait lire Burke et Kant, mais la je seche. et enfin, c'est marrant parce que l'expression 'ça me touche' décrit un peu les travers du spectateur, comme si c'etait à l'oeuvre de faire le boulot. on devrait plutot essayer de toucher l'oeuvre, et meme de la retourner dans tous les sens. "

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  6. Je vous remercie car ça m'aide à reformuler mon point de vue. Comme j'ai essayé de le retranscrire, j'avais besoin d'échange pour mieux mettre le doigt sur mes interrogations. Fffd a bien compris mon sentiment en sortant du musée, qui était la satisfaction d'avoir à la fois appris (le guide) et ressenti (moi face à la photo) et qui m'a fait me demander dans quelles mesures "les mecanismes cognitifs d'apprentissages influent fortement sur nos émotions."

    J'ai en effet, mélangé pas très adroitement émotion, perception, compréhension. Pour faciliter la mise en forme de mes idées, j'ai résumé à 2 visions alors qu'il y en a évidemment bien des multiples. Comme à chaque fois, la vérité doit se trouver qq part au mileu de ces 2 extrêmes.

    Sarah, je te rejoins sur ta répartition en 3points, mais elle me paraît limitée aux arts auquels nous sommes "sensoriellement" habitués et qui sont donc plus accessibles. J'entends par là les oeuvres que l'on peut aborder dans leur totalité par nos sens immédiats: la vue: peinture, sculpture.. par l'ouïe: musique, etc. Que j'opposerais aux arts qui répondent à un assemblage plus complexe entre concepts et matériaux: design, architecture,etc. je me risquerais bien aussi à mettre l'art contemporain dans cette catégorie. C'est une répertoriation free style qui ressemble vaguement à la distinction arts nobles vs arts mineurs. J'espère avoir bien formulé mes pensées.
    Je pense que l'on peut facilement suivre ses émotions face à un tableau, un morceau de musique et que l'explication de l'oeuvre ne va peut-être pas au final avoir tant d'impact sur notre perception immédiate car nous savons analyser avec nos sens. En somme, le 'Les connaissances te donnent des clés pour déchiffrer, comprendre, associer, apprendre à apprécier, mais ne peuvent pas remplacer l'émotion subjective du spectateur devant l'oeuvre." de Sarah.
    Mais il y a ces catégories pour lesquels nous avons besoin d'un peu plus que nos 5 sens car elles ne s'offrent pas à nous naturellement. Mais peut-être que je me fourvois à vouloir faire rentrer design, architecture (ce sont les principaux exemples qui me viennent à l'esprit) sous la catégorie Art. Mais en présentant ces extrêmes, j'ai le sentiment qu'il y a un besoin d'apprendre à déchiffrer l'art.

    suite ci-dessous

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  7. En en discutant cet après-midi avec des amis: Rémy et Sarah, une autre ^^ , j'ai mieux reformulé en parlant: d'apprendre à ouvrir les yeux. Suivant un mastère en design depuis la rentrée, je n'ai jamais autant observé les objets autour de moi. Les objets prennent une autre signification pour moi et je perçois mieux leur esthétisme. Un abribus peut se révéler beau pour moi simplement car j'aurais pris le tps de
    le regarder alors que je serais passée devant sans y prêter attention qqs années plus tôt. Alexandre va pouvoir trouver un batiment plus beau qu'un autre là où on verra nous la même chose, la même finalité, voire on s'en foutra.
    Ma conclusion de ma discussion tout à l'heure a été qu'en fait, et c'est peut-être triste, il faut être éduqué à l'Art pour le voir. Si j'ai une sensibilité artistique aujourd'hui, c'est car ma mère m'a trainé dans tous les musées étant petite. Plus on s'intéresse à une forme d'art, plus on sera à même de voir la beauté dans ces applications car on aura ce que j'appelais dans mon ancien message les clés, mais que je reformulerais ici en: les yeux ouverts. Pour apprécier l'art contemporain, qui est une forme facile à prendre en exemple car controversée, il faut à un moment qu'on ait été pris par la main car cette forme, je pense, n'est pas suffisamment perceptible dans l'immédiaté. En effet, je ne pense pas que qq'un d'autre qu'initié puisse dire: "ce carré blanc sur fond blanc, ça me touche" (dsl alex, je trouve que ce terme marche plutôt bien). Rémy
    a confirmé: "L'Art c'est élitiste", surtout après que je me suis risquée à dire qu'il me semblait que qq'un ayant grandi en banlieue ne devait pas avoir la même aptitude que nous, sensibilisé à l'art, à y voir du beau. Ce à
    quoi Sarah a magnifiquement répondu: "Oui, mais le beau, il le voit ailleurs, dans une autre forme d'art: street art, rap, etc." Et là, j'ai compris que ma conception de l'art dans ce débat avait été tout le long bien académique.


    Voilà, en conclusion et en espérant ne pas avoir trop tourné en rond, je pense qu'à un moment, pour apprécier l'art des musées, l'art dans le conceptuel (beauté d'un objet, d'un texte, d'un batîment..), il faut qu'on ait été sensibilisé, qu'on nous ait ouvert les yeux sur le fait qu'une beauté pouvait s'y trouver. Je ne pense pas, comme Alex, qu'on puisse redevenir vierge une fois cette étape de déchiffrage effectuée.

    Après, l'art étant partout où chacun le voit, dans le fond, il y a besoin d'aucune explication pour voir le Beau dans ce détail que l'on croise et qui nous interpelle. L'art serait-il alors parfois, dans le fond, que la forme d'un nuage?

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